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Le surréalisme est un mouvement littéraire, culturel et artistique de la première moitié du XXe siècle, comprenant l’ensemble des procédés de création et d’expression
utilisant toutes les forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient) libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues. En 1924, André Breton le
définit dans le premier Manifeste du Surréalisme comme un « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute
autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou
morale [...] ».
Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé
de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie
(XXe siècle).
Origine et histoire du mouvement :
Dans le courant du XIXe siècle, le « super naturalisme » de Gérard de Nerval, le « surnaturalisme » d'Emanuel Swedenborg et aussi le symbolisme de Charles Baudelaire et de
Stéphane Mallarmé et, enfin surtout, le romantisme allemand de Jean Paul (dont les rêves annoncent l'écriture automatique) et d'Hoffmann peuvent être considérés comme des
mouvements précurseurs du surréalisme. Plus proches, les œuvres littéraires d'Alfred Jarry, d'Arthur Rimbaud et de Lautréamont, et picturales de Gustave Moreau et Odilon
Redon sont les sources séminales dans lesquelles puiseront les premiers surréalistes (Louis Aragon, André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault, Pierre Reverdy). Quant aux
premières œuvres plastiques, elles poursuivent les inventions du cubisme.
Le surréalisme est issu essentiellement du dadaïsme, un mouvement créé en 1916 par des écrivains et artistes réunis autour de Tristan Tzara. En réaction à l'horreur et à
l'absurdité de la Première Guerre mondiale, Dada veut rompre totalement avec les valeurs morales et les codes « bourgeois » de l'époque. C'est un mouvement de remise en
question radicale du monde tel qu'il est, qui compte distordre l'ordre établi et le langage. Le mot « dada » est d'ailleurs un mot choisi au hasard dans le dictionnaire.
Dada, absolu dans sa dénonciation, ne survit pas à une querelle relative à l'engagement suscitée par la Révolution soviétique et le risque d'une nouvelle guerre, et en 1924
naît le surréalisme avec la publication du premier Manifeste du surréalisme d'André Breton, soucieux d'agir sur la société, sinon l'individu, sans tomber dans
l'embrigadement. Dali affirma d'ailleurs être sûr que le surréalisme « changerait le monde. » Étant lui-même adepte de ce mouvement, il s'y investit comme un devoir.
Cette aventure (« une attitude inexorable de sédition et de défi ») passe par l'appropriation de la pensée du poète Arthur Rimbaud (« changer la vie »), de celle du
philosophe Karl Marx (« transformer le monde ») et des recherches de Sigmund Freud : Breton s'est passionné pour les idées de Freud qu'il a découvertes dans les ouvrages
des Français Emmanuel Régis et Angelo Hesnard en 1917. Il en a retiré la conviction du lien profond unissant le monde réel et le monde sensible des rêves, et d'une forme
de continuité entre l'état de veille et l'état de sommeil (voir en particulier l'écriture automatique). Dans l'esprit de Breton, l'analogie entre le rêveur et le poète,
présente chez Baudelaire, est dépassée. Il considère le surréalisme comme une recherche de l'union du réel et l'imaginaire : « Je crois à la résolution future de ces deux
états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue. »
En 1966, la mort du poète et chef de file va entraîner la fin du surréalisme; trois ans plus tard, Jean Schuster signa officiellement, dans le quotidien Le Monde, l’acte de
décès du mouvement dans un article intitulé « Le Quatrième Chant ».
Origine du mot :
Le poète Arthur Rimbaud (1854-1891) voulait être un visionnaire, se mettre en état de percevoir la face cachée des choses, une autre réalité. C'est en poursuivant les
tentatives de Rimbaud que Guillaume Apollinaire (1880-1918) part à la recherche de cette réalité invisible et mystérieuse.
Le substantif « surréalisme » apparaît pour la première fois en mars 1917 dans une lettre de Guillaume Apollinaire à Paul Dermée : « Tout bien examiné, je crois en effet
qu'il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que j'avais d'abord employé ». Surréalisme n'existe pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à
manier que surnaturalisme déjà employé par MM. les Philosophes. » C'est le poète Pierre Albert-Birot qui suggéra à Apollinaire de sous-titrer la pièce que celui-ci était en
train d'achever, Les Mamelles de Tirésias, « drame surréaliste » plutôt que « surnaturaliste ».
Le concept est divulgué par la plaquette de présentation qu'Apollinaire est chargé par Serge Diaghilev de rédiger pour la première de Parade, ballet réaliste en un tableau
le 18 mai 1917 au théâtre du Châtelet à Paris. Du spectacle total conçu par Jean Cocteau conjuguant « le premier orchestre d'Erik Satie, le premier décor de Pablo Picasso,
les premières chorégraphies cubiste de Léonide Massine, et le premier essai pour un poète de s'exprimer sans paroles » où « la collaboration a été si étroite que le rôle de
chacun épouse celui de l'autre sans empiéter sur lui », il explique :
« De cette alliance nouvelle, (...) il est résulté dans Parade, une sorte de sur-réalisme où je vois le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau
qui, trouvant aujourd'hui l'occasion de se montrer, ne manquera pas de séduire l'élite et se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs dans l'allégresse
universelle, car le bon sens veut qu'ils soient au moins à la hauteur des progrès scientifiques et industriels. Jean Cocteau appelle un ballet réaliste. Les décors et les
costumes cubistes de Picasso témoignent du réalisme de son art. Ce réalisme, ou ce cubisme, comme on voudra, est ce qui a le plus profondément agité les arts durant les dix
dernières années »
— G. Apollinaire, Parade et l'esprit nouveau, in Programme des Ballets russes, Paris, mai 1917.
Ainsi Apollinaire entend théoriser le sursaut poétique provoqué par la Première Guerre mondiale par lequel Jean Cocteau, comme quatre ans plus tard dans le spectacle des
Mariés de la Tour Eiffel, dédouble la représentation « réaliste » du quotidien bourgeois du spectateur par celle de la fantaisie inhumaine et rêvée de personnages-machines.
Dans ce manifeste se trouve déjà tout ce que ses détracteurs trouveront à reprocher au surréalisme : rupture avec tout traditionalisme, élitisme, modernité, c'est-à-dire
progrès scientifique et, à l'instar des futuristes, industrialisme.
Dans une chronique de mai 1917 consacrée au même ballet, Apollinaire, admiratif des décors créés par Picasso, revient sur le concept d'« [...] une sorte de « sur-réalisme »
où [il] voit le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau qui [...] se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs [...] Cette
tâche « surréaliste » que Picasso a accomplie en peinture, [...] je m'efforce de l'accomplir dans les lettres et dans les âmes [...] »
Dans une lettre du 16 juin 1917, adressée à Théodore Fraenkel, Jacques Vaché annonce la première des Les Mamelles de Tirésias pour le 24 : « [...] et j'espère être à Paris
[...] pour la représentation surréaliste de Guillaume Apollinaire. »
André Breton :
Le poète et écrivain français André Breton (1896-1966) fut le principal fondateur du surréalisme, le seul artiste à avoir appartenu au mouvement depuis son origine et
jusqu'à sa mort. En 1924, c'est lui qui pour la première fois décrit le surréalisme dans le premier Manifeste, puis, la même année, il contribue à la création du Bureau de
la recherche surréaliste. Louis Aragon, Robert Desnos, Paul Éluard, René Magritte, Philippe Soupault, Marcel Duchamp, Salvador Dalí et Jacques Prévert sont quelques-uns des
plus connus de ses camarades écrivains, poètes, peintres, artistes en somme. Nombre d'entre eux vont également adhérer au Parti Communiste français pour soutenir leurs
idées de révolution sociale : Breton rejoint le parti en 1927 et en est expulsé en 1933.
Une aventure internationale :
Le surréalisme connaît une fortune particulière dans la littérature francophone belge. Paul Nougé, dont la poésie présente un aspect ludique très marqué, fonde en 1924 un
centre surréaliste à Bruxelles avec les poètes Camille Goemans, Marcel Lecomte… Un autre groupe important, « Rupture », se crée en 1932, à La Louvière, autour de la
personnalité d'Achille Chavée.
Le surréalisme belge prend ses distances à l'égard de l'écriture automatique et de l'engagement politique du groupe parisien. L'écrivain et collagiste E. L. T. Mesens fut
l'ami de René Magritte, les poètes Paul Colinet, Louis Scutenaire et André Souris et plus tard Marcel Mariën appartiennent également à ce courant.
La francophonie d'outre-mer trouvera notamment en Jean Venturini, poète franco-marocain révolté et rimbaldien, un porte-parole original et indépendant, mort trop tôt pour
donner sa pleine mesure, et auquel le poète Max-Pol Fouchet rendra un hommage fort.
Le surréalisme exercera une action stimulante sur le développement de la poésie espagnole, mais à la fin des années 1920 seulement et en dépit de la méfiance suscitée par
l'irrationalisme inhérent à la notion d'écriture automatique. Ramón Gómez de la Serna définit ses rapprochements insolites, « greguerias », comme « humour + métaphore ».
Le courant « ultraïste » déterminera un changement de ton chez les poètes de la « Génération de 27 », Federico García Lorca, Rafael Alberti, Vicente Aleixandre et Luis
Cernuda.
Les principes surréalistes se retrouvent en Scandinavie et en URSS. Le « poétisme » tchèque peut être considéré comme une première phase du surréalisme. Il s'affirme dès
1924 avec un manifeste publié par Karel Teige, qui conçoit la poésie comme une création intégrale, donnant libre cours à l'imagination et au sens ludique. Ses représentants
les plus éminents furent Jaroslav Seifert et surtout Vítězslav Nezval, dont Soupault souligna l'audace des images et symboles. Le mouvement surréaliste yougoslave entretient
d'étroits contacts avec le courant français grâce à Marko Ristić.
En dépit d'une perte de prestige à partir de 1940, le surréalisme a existé comme groupe jusqu'aux années 1960, en se renouvelant au fur et à mesure des départs et des
exclusions. Le surréalisme fut également revendiqué comme source d'inspiration par l'Alternative orange, un groupe artistique d'opposition polonais, dont le fondateur, le
Major (Commandant) Waldemar Fydrych, avait proclamé Le Manifeste du Surréalisme Socialiste. Ce groupe, qui organisait des happenings, peignait des graffiti absurdes en forme
de lutins sur les murs des villes et était un des éléments les plus pittoresques de l’opposition polonaise au communisme, utilisait largement l’esthétique surréaliste dans
sa terminologie et dans la place donnée à l’acte spontané.
Parmi les grands noms du surréalisme japonais, nous trouvons entre autres Junzaburō Nishiwaki (1894 - 1982), Shūzō Takiguchi (1903 - 1979), Katsue Kitazono (1902 - 1978).
Parmi les peintres peuvent être cités Harue Koga (1895 - 1933), Ichirô Fukuzawa (1898 - 1992), Noboru Kitawaki (1901 - 1951), ou encore le photographe et poète Kansuke
Yamamoto (1914 - 1987). Quant aux romanciers, les œuvres les plus marquantes nous ont été laissées par Kōbō Abe (1924 - 1993). Concernant les mangas, une brèche fut ouverte
à la possibilité d'emploi de tournures surréalistes avec l'œuvre Nejishiki de Yoshiharu Tsuge (publiée dans le numéro de juin du magazine Garo en 1968), puis le secteur put
obtenir un appui écrasant de la génération du Zenkyôtô (équivalent de Mai 68) sous l'influence considérable d'artistes et de nombreux intellectuels non-initiés à ce type
d'œuvre. Le surréalisme japonais ne s'inscrit pas dans la continuité du dadaïsme. Au Japon, la quasi-totalité des écrivains appartenant au mouvement dadaïste
(groupe d'écrivains faisant partie du MAVO) ne sont pas devenus surréalistes, et inversement, la plupart des surréalistes japonais n'œuvrent pas en tant que dadaïstes.
Il appartenait à l'écrivain majeur de la Bolivie au XXe siècle, Jaime Sáenz, de porter le flambeau du surréalisme en Amérique latine, plus d'ailleurs en héritier libre et
indépendant qu'en sectateur fanatique.
Changer l'homme :
Le mouvement Dada était antibourgeois, antinationaliste et provocateur. Les surréalistes continuèrent sur cette lancée subversive. « Nous n'acceptons pas les lois de
l'Économie ou de l'Échange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. »
(tract La Révolution d'abord et toujours). Ces principes débouchent sur l'engagement politique : certains écrivains surréalistes adhèrent, temporairement, au Parti
communiste français .
Aucun parti cependant ne répondait exactement aux aspirations des surréalistes, ce qui fut à l'origine de tensions avec le Parti communiste français. André Breton n'a pas
de mots assez forts pour flétrir « l'ignoble mot d'engagement qui sue une servilité dont la poésie et l'art ont horreur. » Dès 1930, pourtant, Louis Aragon acceptait de
soumettre son activité littéraire « à la discipline et au contrôle du parti communiste ». La guerre fit que Tristan Tzara et Paul Éluard le suivirent dans cette voie.
Condamnation de l'exploitation de l'Homme par l'Homme, du militarisme, de l'oppression coloniale, des prêtres pour leur œuvre qu'ils jugent obscurantiste, et bientôt du
nazisme, volonté d'une révolution sociale ; et plus tard, enfin, dénonciation du totalitarisme de l'Union soviétique, tels sont les thèmes d'une lutte que, de la guerre du
Maroc à la guerre d'Algérie, les surréalistes ont menée inlassablement. Ils ont tenté la synthèse du matérialisme historique et de l'occultisme, en se situant au carrefour
de l'anarchisme, et du marxisme, fermement opposés à tous les fascismes et aux religions.
En conclusion :
Pour Gérard Durozoi, le mot surréalisme est « désormais [...] victime de sa fausse popularité : on n'hésite pas à qualifier de surréaliste le premier fait un peu bizarre
ou inhabituel, sans davantage se soucier de rigueur. Le surréalisme [...] est pourtant exemplaire par sa cohérence et la constance de ses exigences. » Cependant, Alain et
Odette Virmaux pensent que cette « évolution sémantique n'est pas du tout déviante » et qu'elle « reste en accord avec le mot [...] les surréalistes ayant « une prédilection
pour l'humour noir et le «nonsense». »
Exemple de peinture Surréaliste :
La trahison des images (1929)
du peintre René Magritte
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